lundi 12 juillet 2010

Je pense avoir mis un peu d'ordre dans les manuscrits reçus au cours des dernières semaines. (voire mois...) Il y a encore quelques jours, tous étaient alignés par terre, reliés ou non. L'ensemble prenait les allures d'un sentier de papier dans la pièce, ou d'une passerelle courbée qui partait de l'entrée et menait vers l'ordinateur. Mais je ne l'empruntais pas. Je longeais ce dispositif qui, chaque jour, m'interrogeait, me regardait de travers, me priait de me préoccuper de lui, élément par élément, texte par texte. C'est chose faite.

Parmi toutes ces pages, il y a ces fragments :

L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. Le tien est en plastique et te regarde depuis un verre de solution antiseptique posé sur la tablette du lavabo. C’est vrai que c’est du beau travail. L’oculariste que tu as rencontré, à ta sortie du coma, a pris un bon millier de photos de ton œil droit. Il paraît que ce type était un véritable artiste. Trois semaines plus tard, tu recevais la chose dans un colis. Le plus beau jour de ta nouvelle vie. Madeleine avait pleuré. Depuis le fond du verre, l’iris vert et les petites veinules, peints avec amour sur la coque blanche, te regardent avec envie.
Tu te bricoles un café lyophilisé. Les chambres de l’hôtel sont munies de bouilloires électriques. La seule concession au confort que tu aies notée depuis ton arrivée. Tu rêverais bien d’un scotch, mais il est trop tôt pour ça. Quinze ans qu’il est trop tôt pour ça.

*

Comme on fut interdit un temps, à l’entrée du siècle, devant des corps minuscules qui se jetaient de tours en flammes, là-bas, loin, de l’autre côté de l’Atlantique. Vus et revus et vus et revus et vus et revus en boucle. Ici et maintenant, c’est à peu près le même effet, presque le même effet car, dans un territoire si proche, pas même un océan pour se prémunir, pour se délier, s’exonérer. Les américains ce n’est pas pareil, ils auraient su se faire haïr, et pourtant là tout a lieu au coin de la rue : le quotidien, le supermarché, le temple où presque tout le monde se rend, un jour ou l’autre ou quotidiennement ; même plus la grande ville, même plus la capitale, même plus le métro, même plus les traders et les maîtres du monde, même plus d’autres pays en guerre, encore plus loin, relégués dans un arrière-monde, non, un pauvre petit centre commercial d’une banlieue de province, n’importe quel pauvre petit centre commercial de n’importe quelle banlieue de province, comme il en existe partout, dupliqués à l’infini, prédateurs insatiables et uniformes de nos anciennes terres, dans un pays civilisé et tranquille, stable et perpétuel, voulu et revendiqué ainsi au nez et à la barbe des autres, ceux du chaos.



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